L'urgence de vivre à 4000m d'altitude
Début septembre, j'ai fait l'ascension de mon premier 4000m avec Explora Project, et cette expérience m'a énormément marquée. Voici pourquoi.
Douches froides, sport quotidien, ou respiration Wim Hof, sont sans conteste des stress hermétiques pour le corps, mais ils sont très loin de l’être pour l’esprit. Saut en parachute, looping en avion de chasse, ou course automobile en Caterham le seraient déjà plus. Mais si les sensations sont intenses, la conscience du risque y reste relativement maîtrisée. Non, j’ai beau réfléchir à ma vie, à mes expériences, à mes sorties de ma zone de confort, qu’il s’agisse d’une présentation en anglais ou d’un combat de boxe, je n’ai jamais ressenti un tel stress, puissant et viscéral, que sur cette crête de 25cm de large à 4200m d’altitude avec le précipice béant de chaque côté de mes pieds, et la conscience électrisante que la moindre erreur pourrait m’être fatale.
Je me suis élevé ce vendredi 03 septembre 2021 pour une ascension que je pensais être une randonnée en altitude, mené par une volonté égotique de tutoyer les nuages à plus de 4000m. Moins de 30min après être arrivé à 3700m, crampons aux pieds et encordé pour se prémunir des crevasses, je ressens déjà le poids de la hauteur et mes cellules qui souffrent du manque d’oxygène. Finalement, cette promenade revêt-elle peut-être un défi plus grand que celui que j’imaginais.
Le lendemain, après quelques centaines de mètres de dénivelé positif éreintant, une petite session d’escalade à flanc de montagne, suspendu au-dessus du vide par quelques prises, m’a confirmé que cette aventure serait aussi intense physiquement qu’émotionnellement.
Mais c’est réellement le dimanche, alors que nous marchions sur cette crête, que je suis entré plus profondément que jamais dans cet état de flow, une sensation d’hypervigilance irradiant mes veines, et 10min plus tard, arrivé au sommet, un sentiment de gratitude, d’accomplissement, de plénitude, tellement puissant qu’il m’en a arraché une envie de pleurer. Pleurer ce stress intense qui retombe. Pleurer la beauté du paysage infini qui s’ouvre à 360°. Pleurer cette reconnaissance d’être en vie. Pleurer cette aventure humaine accompagnée d’un guide au parcours fabuleux, aux blagues toujours légères, et aux yeux bleus que la dureté des défis n’a jamais rendu moins pétillants.
Car être encordé au bord du vide, avec la conscience intense de la mort qui peut surgir à chaque instant, créé des interactions humaines d’une rare profondeur. C’est du speed dating sous stéroïdes. D’ailleurs, on a tous signé pour repartir l’année prochaine tutoyer le Mont Blanc. Et en écrivant ces lignes, j’en ai des frissons.
J’ai aussi appris une chose importante. Notre société ne nous confronte plus au danger, à la mort. La nature est édulcorée. On en oublie que le lion dévore la gazelle, et que ça saigne. Que le monde sauvage est impitoyable, et que chercher à le soumettre à nos réflexions existentielles sur le sens de la vie est une perte de temps. La vie est ce qu’elle est. Un amas de cellules qui ont décidé de coopérer pour répondre aux deux seuls objectifs de la biologie : survivre et se reproduire. Pas d'égo, de besoin de laisser une trace, ou de trouver un sens à tout ça. Simplement prendre conscience qu’on a la chance d’être incarné dans un corps et de profiter d’une expérience de vie. Qu’on devrait passer plus de temps à remercier ce cadeau qui nous est fait qu’à en chercher le sens. Et que le meilleur sens à lui donner est de vivre intensément. La trace qu’on laissera derrière nous s’effacera avec l’histoire. Plutôt que de chercher à marquer le sable, profitons de sa douceur sous nos pieds. Être confronté au danger permet d’en prendre conscience violemment, et d'admettre qu’une journée perdue à ne pas jouir de notre vie est un crime contre notre humanité.
Très beau texte, vraiment, David ! Je t'avais bien dit qu'un 4000 mètres, ce ne serait pas la petite balade au grand air pur que tu me décrivais... :-)))